Science & sécurité

Le fantasme des OGM est basé sur l’ignorance

Entretien à bâton rompu avec Didier Trono, le directeur du laboratoire de virologie et de génétique à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne). Les thèmes de recherche de son laboratoire portent exclusivement sur la cellule humaine et l’action des transposons, ces petites séquences d’ADN très nombreuses (5 millions) et mobiles, qui régulent le génome et orchestrent notre activité cellulaire via des protéines très spécifiques (400 environ). Les recherches portent principalement sur les cancers et les troubles neuro-développementaux, avec la production de biomarqueurs et la recherche de nouvelles cibles en immunothérapie.
En quoi CRISPR CAS est-il un outil révolutionnaire ?
C’est une méthode beaucoup plus simple, plus facile et plus efficace. Nous réalisons en quelques semaines des manipulations qui prenaient un an auparavant. C’est un outil plus fiable et beaucoup moins cher ce qui explique son succès dans les laboratoires du monde entier. Cela nous exonère par exemple des tests sur souris transgénique.
En fait, Crispr est arrivé au bon moment. D’énormes progrès ont été réalisés en matériel de séquençage ce qui en a réduit le coût. Avec la maitrise des outils de big data, il est désormais possible de connaître mais aussi de comprendre, de comparer et de modifier les génomes rapidement. Cela a réveillé des champs de recherche qui exigent et génèrent beaucoup de données.
Un des reproches faits à cette technologie est la possibilité de créer des coupures aléatoires ailleurs dans le génome. C’est effectivement un problème si cela touche un gène dominant : dans le cas de l’homme une cellule cancéreuse ou chez les plantes un gène dominant non souhaité révélé sous la pression environnementale. En fait, c’est une question technique mais surtout statistique. Il n’est pas possible de garantir le risque zéro, mais on peut évaluer statistiquement le risque. Dès lors, on peut évaluer, à moyen terme, l’intérêt et le gain de la transformation qui justifie qu’on autorise une prise de risque, même minimale. 
En quoi diffèrent vos recherches de celles réalisées dans le domaine végétal ? que pensez-vous du débat autour des OGM et autres méthodes d’amélioration des plantes ?
La grande différence est que nous travaillons sur des cellules différenciées dites somatiques, alors que chez les plantes, la transformation se fait sur des cellules totipotentes germinales. D’où le problème de dissémination et de transmission aux générations futures. Toutes les modifications n’ont donc pas le même impact. En médecine, nous utilisons Crispr Cas pour réparer un génome. 
En agriculture, il faudrait expliquer réellement ce qui se passe « naturellement » chez les plantes ou pendant les phases de domestication : investiguer davantage sur les interactions plantes/virus tout au long de la coévolution, comprendre ce qui se passe dans le cas des boutures, faire une analyse pragmatique des transferts naturels des gènes pour dédramatiser le dialogue sur les transformations génétiques.
 Cela ne veut pas dire que cela banalise les méthodes ou les outils mais cela remettrait les pendules à l’heure. Cela autoriserait une discussion « intelligente » sans les fantasmes à la Frankenstein. Si on admet que dans les méthodes d’amélioration utilisées jusqu’à présent, il y a une grande part de hasard et une part de risque, la question porte alors sur une comparaison avec des méthodes récentes, comme Crispr qui permettent des améliorations plus ciblées et avec, à priori, moins de risque.
Pourquoi une bouture qui était « sympa » du temps de mon grand-père ne l’est plus avec les outils modernes ?
Il faut revenir aux fondamentaux en génétique et regarder ce qui s’est passé, c’est-à-dire observer les flux génétiques qu’a engendré la domestication mais aussi le hasard, les facteurs abiotiques et les écosystèmes. Car le fantasme du futur est basé sur l’ignorance du présent. On voit souvent une nouveauté extraordinaire mais inquiétante à quelque chose qui existe en fait déjà. C’est le cas des outils de génomique qui ne sont qu’un raffinement de mécanismes cellulaires.  
Cette démarche devrait permettre d’évaluer les nouveaux outils pour ce qu’ils apportent et pas seulement pour les risques éventuels qu’ils induiraient.
 


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